Histoires de limites | ||
par Claire Guillot | ||
> textes de Thierry Girard |
Thierry Girard et le désert français Il n'y a rien à signaler dans les photos de Poitou-Charentes prises par Thierry Girard et exposées à la galerie parisienne Agathe Gaillard. Aucun complot qui se trame, aucune joie prête à éclater. Les villages sont silencieux et les campagnes paisibles. Le temps semble arrêté. C'est l'ordinaire qui offre, dans des couleurs douces et retenues, toutes les nuances de son visage. Thierry Girard, qui explore le paysage depuis plus de vingt ans, a fait de l'antispectaculaire sa spécialité. "Je cherche une distance. Sans en rajouter dans l'exotisme ni l'accablement, en traitant à égalité tous les éléments qui construisent un lieu." Les fils téléphoniques et le mobilier urbain de béton ont autant leur place dans ses images qu'un cheval dans un champ ou qu'un petit calvaire. Le tout étant, pour lui, de trouver un équilibre entre formes et couleurs. Le pari est réussi : de ces objets sans attrait, de ces lieux sans caractère naissent des tableaux parfaitement composés, au charme discret mais durable, baignés d'une lumière douce. Entre la mer, le ciel et le sol, Thierry Girard se plaît à décliner toutes les nuances du gris : "J'ai horreur du ciel bleu !" C'est souvent sur le premier plan que le regard butte : la vase d'un plan d'eau, les gravillons de la route, le béton fendillé du port. Peut-être parce que Thierry Girard photographie le territoire à hauteur d'homme, à pied. En France, qu'il avait traversée selon une stricte diagonale, au Japon ou aux Etats-Unis, il "travaille toujours autour d'un itinéraire. Au coeur de mon travail, il y a l'idée de frontières, de limites". Thierry Girard (…) s'est attaché aux bordures, aux confins, pour montrer l'identité problématique de ce territoire et l'arbitraire des divisions administratives. "Dans les Deux-Sèvres, on est déjà en Vendée. Il n'y a ici de frontière ni géographique ni historique." Les images de Thierry Girard montrent un littoral où règnent les pêcheurs et les touristes. Mais, à l'intérieur des terres, l'homme brille surtout par son absence. A Saint-Médard-sur-Sèvre, le store du café est à moitié baissé. Aux Ormes, près du parking vide, un discret panneau indique une maison à vendre. "Je m'intéresse à la chorégraphie humaine. Mais, dans ces espaces ruraux, il faut attendre pour que les gens viennent. C'est le désert français. Ces images renvoient d'une certaine façon à ma mémoire personnelle. C'est un pays que j'aime, mais ce n'est plus celui que j'ai connu." D'où sans doute la sourde mélancolie que distillent ses images sous leurs abords neutres et distants. © Claire Guillot – Le Monde, 2006. Article paru dans Le Monde à l’occasion de l’exposition "Thierry Girard, histoire de limites". Galerie Agathe Gaillard. |
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