Women in Shanghai
   
   

 

 

À l’entour des êtres ( Women in Shanghai )

Nous connaissons tous le profond bouleversement du paysage urbain qui touche toutes les villes de Chine, jusqu’aux plus modestes. Ce phénomène est abondamment documenté par nombre de photographes chinois et occidentaux. Pour ma part, bien qu’ayant régulièrement séjourné à Shanghai, j’ai longuement hésité avant d’entreprendre un projet spécifique sur cette ville. Je ne voulais pas être dans une redite ou un trop mince écart avec des travaux en cours ou déjà réalisés ; qu’il s’agisse de documenter la disparition de la ville traditionnelle ou de s’extasier devant la transformation parfois majestueuse de la ville moderne.

J’ai considéré qu’il était possible, et même souhaitable, d’envisager un point de vue différent en intégrant notamment un élément qui semble avoir disparu des préoccupations des photographes urbains, à savoir l’élément humain. Il pouvait certes exister ici et là comme “élément“ du décor, mais jamais comme point référentiel d’un projet —à l’exception du travail de  Xu Yong sur les habitants des hutongs de Pékin, ou celui de Hu Yang qui a photographié plusieurs centaines de personnes chez elles à Shanghai…

À l’occasion de mes différents séjours à Shanghai, j’ai donc décidé d’entreprendre un travail autour de la problématique suivante : plutôt que d’arpenter la ville en quête d’espaces probants et spectaculaires —ce qui, somme toute, n’est pas très difficile à trouver—, j’ai choisi de m’intéresser à la ville, telle qu’elle était vue et vécue au quotidien par ses habitants. Pour cela, il me fallait partir justement des habitants : rencontrer des gens, faire leur portrait et photographier leur paysage intime et quotidien (chez eux, depuis chez eux ou dans leur environnement immédiat).

J’ai privilégié des portraits de jeunes femmes, parce qu’elles représentent un subtil équilibre de fragilité et de force dans ce monde dur et âpre qui est celui de la Chine contemporaine. J’ai choisi aussi de rechercher une grande variété de situations : diversité sociale, diversité des métiers ; jeunes femmes d’origine shanghaienne, et d’autres, plus nombreuses, venant de toutes les provinces, attirées par Shanghai comme on l’est par la Grande Ville. L’œkoumène de chacune rend compte de leur situation personnelle ; même s’il y a parfois des surprises, telle cette petite paysanne, juste débarquée de sa province, et hébergée dans la belle résidence de sa cousine. Individuellement et collectivement, toutes ces jeunes femmes parlent toutes de la Chine d’aujourd’hui telle qu’elle se construit avec ses espoirs et ses dangers.

Du coup, j’ai été amené à photographier des parties de la ville, des quartiers, des rues, des arrières cours, des immeubles, des chambres plus que modestes et des appartements chics, dans lesquels je n’aurais jamais pu pénétrer sans ce sauf-conduit du portrait. Il y a certes, dans ce genre de photographie documentaire, une dimension sociologique : elle est induite par les petits textes très brefs qui accompagnent chaque triptyque et situent la personne photographiée. Mais ce n’est pas là l’essentiel de mon propos : ce qui m’importe, c’est d’être confronté à toutes sortes de situations et d’espaces auxquels il faut que je réponde esthétiquement et formellement, en jouant à la fois sur la rigueur, la cohérence, mais aussi la diversité. Il me faut trouver autour de chaque personne photographiée un ensemble de situations dans lesquelles je vais puiser pour élaborer un triptyque à la fois juste par rapport à la réalité, et juste aussi esthétiquement. Je me retrouve souvent confronté à des espaces peu spectaculaires, ingrats, sans imago particulier, mais l’intérêt est d’autant plus vif que je ne les ai pas choisis et qu’ils me sont imposés par la rencontre. L’enjeu est de pouvoir photographier une autre ville.

À partir de ce projet, est né un second projet, The Last Station, une réflexion sur les limites urbaines de Shanghai, travail initié en 2010 et terminé en 2012 .

© Thierry Girard

 

 
retour textes    
voir les photos