> texte de Thierry Girard |
Nourri des photographies de Walker Evans, Robert Frank, Paul Strand, mais aussi lecteur de l’Ulysse de Joyce, Thierry Girard est un photographe-promeneur qui, du Danube au Japon, du Maroc à l’Aquitaine, poursuit une problématique odysséenne, et place au coeur de son travail les notions d’itinéraire et de parcours – la marche étant indissociablement parcours géographique et cheminement intérieur.
« Preneur de notes, d’instants, d’épiphanies », Thierry Girard a choisi la marche comme une décision salutaire, comme un acte de liberté qui lui permettrait de saisir enfin « le vif des choses ». Pour autant, sa marche — toujours relayée par l’appareil photographique — ne doit jamais rien au hasard, ni à la seule impulsion subjective. Il ne s’agit point ici d’une errance ni d’une quête romantique de la perte de soi, mais d’un parcours susceptible d’inclure un récit sans narrativité, respectant la chronologie des choses et induisant un rapport de sens progressif d’image en image. D’un parcours réflexif qui intègre l’histoire de la peinture — ainsi la peinture romantique allemande lors du voyage le long du Danube, l’estampe japonaise lors de la route du Tôkaidô — tout en refusant l’emphase et la spectacularité des images : si, dans les régions danubiennes, Thierry Girard travaille sur la mémoire douloureuse, c’est à travers les traces subtiles et discrètes qu‘a pu laisser la guerre. Lorsqu’il photographie le Japon, c’est en évitant les deux stéréotypes que serait l’idéalisation vers le passé ou vers le futur.
Ni pathétique ni dramatique, la restitution photographique des lieux se veut « ordinaire », ce qui ne signifie pas pour autant quelconque : dans La Route du Tôkaidô, Thierry Girard, refusant l’exotisme du Japon, a voulu capter un pays que les japonais eux-mêmes puissent reconnaître comme le leur, à la fois dans la préservation de ses éléments naturels et dans l’expansion pathogène du béton. (…)
Composition des images, étagement et profondeur, dimension métaphorique minimale, souci de maintenir une distance aux choses, regard critique mais dénué de pathos, : les photographies de Thierry Girard restituent avec rigueur et discrétion ce qu’on pourrait appeler, en écho à la modernité de l’Ukyo-e, la contemporanéité ordinaire du Japon, celle d’une culture duelle, bifide, dont le torii, symbolisant l’articulation du sacré et du profane, pourrait être l’emblème.
© Dominique Baqué – Art Press, 1998.
© Dominique Baqué – Éditions du regard, 2004.
Article paru dans Art Press, juin 1998. Texte repris dans Photographie plasticienne, l’extrême contemporain : de l’impossible paysage aux non-lieux de l’extrême contemporain pp137-138. Éditions du Regard, 2004. |
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